dimanche 20 janvier 2013

CAPES, entraînement 3


Es la tercera vez que empiezo estos escritos, tan distintos de mis Relaciones y mis Memoriales, tan lejos de mis Cartas. En ellos apareceré desnudo como mi madre, a quien no conocí nunca, me parió. Tengo más de setenta años: una edad muy desagradecida para desnudarme en público: por eso lo hago en privado. Mis dedos no conducen ya la pluma de forma inteligible. Le dicto lo que quiero decir a mi amigo Gil de Mesa, mi rodamonte, como alguien lo llamaba en Pau: el sinvergüenza del doctor Arbizu,  al principio de mi segunda vida, o más bien de mi muerte; mi paladín, según se decía: qué más quisiera yo. Aunque quizá fue así. Él lo podrá decir mejor. Veo que se interrumpe un instante y sonríe.
Días antes le he dictado mi testamento y mi protesta, más o menos sincera, de catolicismo: creo que me he pasado en ella, qué le vamos a hacer: no quiero que a mis hijos les compliquen la vida. En esa protesta, Gil ha imitado mi letra y la ha firmado. No lo habría hecho yo mejor. En realidad, Gil me ha tenido siempre de su mano, así que no me extraña. Los Mesa y yo somos parientes, si es que yo soy pariente de alguien todavía. Él es de los Mesa de Bubierca: los mejores. Baja ahora la cabeza avergonzado. Tendrá unos cuarenta años, y es muy moreno y bien formado. No muy alto, pero sabe crecerse si hace falta. Es extremoso en todo; pero, más que en cualquier otra cosa, en la fidelidad. Sin él,  no sé qué habría sido de mí: de lo que le dicto se deducirá. Es, como ningún otro, un hombre de recursos; extraordinario y casi milagroso. Dios, si es que existe, lo bendiga... Nunca en mi vida me he sentido tan triste —y cuidado que he tenido ocasiones— como un día en que pensé que Gil me traicionaba. Fue porque un espía portugués hijo de puta, Tinoco,  inventó que Gil quería, harto de Francia,  hacer la paz con el Rey de Castilla, y no la haría sin prestarle el servicio de venderme. Ganas me dieron de entregarme yo; pero pensé que si lo hacia él, la recompensa iba a ser grande y ése sería mi pago por tanta abnegación... Ahora mismo él me mira con sus ojos tan negros; deja un momento de escribir; cruza el índice y el pulgar y se los besa... Lo sé, Gil de Mesa, lo sé hoy, pero el día más triste aquel en que dudaba... Escríbelo, por Dios.

Antonio Gala, El pedestal de las estatuas


***

Nadia nous propose sa traduction :

C’est la troisième fois que je recommence ces écrits, si différents de mes Récits et de mes Mémoires, si loin de mes Lettres. J’y apparaîtrai nu comme le jour où ma mère, que je n’ai jamais connue, m’a mis au monde. J’ai plus de soixante-dix ans : un âge très ingrat pour se dénuder en public : c’est pourquoi je le fais en privé. Mes doigts ne dirigent plus la plume d’une forme intelligible. Je dicte ce que je veux dire à mon ami Gil de Mesa, mon rodomont, comme une certaine personne l’appelait à Pau : ce vaurien de docteur Arbizu, au début de ma deuxième vie, ou plutôt de ma mort ; mon paladin, à ce qu’on disait : moi, j’aurais bien voulu. A moins que, peut-être,  cela n’en fût ainsi. Lui, il pourra le dire mieux que moi. Je vois qu’il s’interrompt un instant et sourit.
Il y a quelques jours, je lui ai dicté mon testament et ma déclaration, plus ou moins sincère, de catholicisme : je crois que j’en ai trop fait, que peut-on y faire : je ne veux pas que l’on complique la vie à mes enfants. Dans cette déclaration, Gil a imité mon écriture et a signé. Je n’aurais pas mieux fait. En réalité, Gil a toujours été de mon côté, cela ne m’étonne donc pas. Les Mesa et moi sommes parents, si je suis encore parent de quelqu’un. Lui, il est de la branche des Mesa de Bubierca : les meilleurs. Il baisse la tête, à présent, tout honteux. Il doit avoir environ quarante ans, il est brun et bien bâti.
Pas très grand, mais il sait se grandir si besoin est. Il est extrême en tout ; mais, par-dessus tout, en fidélité. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu : on le déduira de ce que je lui dicte. Il est, comme aucun autre, homme de ressources ; extraordinaire et presque miraculeux. Que Dieu, s’il existe, le bénisse… Jamais dans ma vie, je ne me suis senti si triste – et attention, j’en ai eu l’occasion – que ce jour où j’ai cru que Gil me trahissait. Ce fut parce qu’un fils de pute d’espion portugais, Tinoco, avait inventé que Gil, lassé de la France, voulait faire la paix avec le Roi de Castille, mais pas sans lui rendre un service : me vendre. J’ai eu envie de me rendre moi-même ; mais j’ai pensé que si c’était lui qui le faisait, la récompense allait être plus grande et cela serait mon paiement pour tant d’abnégation… Maintenant, lui, il me regarde avec ses yeux si noirs ; il arrête un moment d’écrire ; il croise l’index et le pouce puis les embrasse… Je sais, Gil de Mesa, je sais aujourd’hui, mais ce jour si triste,  celui où je doutais… Ecris-le, s’il te plaît.

***

Manon nous propose sa traduction :

C’est la troisième fois que je commence ces textes, si différents de mes Récits et de mes Mémoires, si éloignés de mes Lettres. J’y apparaîtrai nu de la même manière que ma mère,  que je n’ai jamais connue, m’a mis au monde. J’ai plus de soixante-dix ans : un âge très ingrat pour me dénuder en public ; c’est pour cette raison que je le fais en privé. Mes doigts ne mènent plus la plume de manière intelligible. Je lui dicte ce que je souhaite dire à mon ami Gil de Mesa, mon rodamonte, comme quelqu’un l’appelait à Pau : l’effronté du docteur Arbizu, au début de ma seconde vie, ou plutôt de ma mort ; mon défenseur, d’après ce qu’on disait : je ne pouvais pas mieux espérer. Bien que cela se fût peut-être passé ainsi. Lui, il pourra dire cela mieux que moi. Je vois qu’il s’interrompt un instant et sourit.
Il y a quelques jours, je lui ai dicté mon testament et ma déclaration de catholicisme plus ou moins sincère : je crois que j’ai un peu exagéré, qu’y pouvons-nous ? Je ne veux pas que cela complique la vie de mes enfants. Gil a imité mon écriture et a signé cette déclaration. Je n’aurais pas fait mieux moi-même. En réalité, Gil m’a toujours soutenu, alors ça ne me dérange pas. Les Mesa et moi sommes parents, ce qui signifie bien que je suis encore parent de quelqu’un. Lui, il vient des Mesa de Bubierca : les meilleurs. À présent, il baisse la tête, confus. Il doit avoir environ quarante ans, il est très brun et bien fait. Il n’est pas immense,  mais sait se grandir si c’est nécessaire. Il est excessif dans tous les domaines, mais plus encore dans sa fidélité. Sans lui, je ne sais pas ce qui serait advenu de moi : on le déduira de ce que je lui dicte. C’est un homme incomparable, plein de ressources ; extraordinaire et presque miraculeux. Que Dieu, s’il existe, le bénisse… Je ne me suis jamais senti aussi triste de ma vie – et attention, j’ai eu des occasions de l’être – que le jour où j’ai pensé que Gil me trahissait. C’est parce qu’une espèce de conard de portugais, Tinoco, avait inventé que Gil, las de la France, voulait faire la paix avec le Roi de Castille,  et elle ne serait possible qu’à la condition de lui rendre un service : me vendre. Cela me donna envie de me rendre moi-même ; mais je pensai que s’il le faisait, la récompense allait être grande et cela serait le prix à payer pour tant d’abnégation… Maintenant, il me regarde avec ses yeux si noirs ; il cesse d’écrire un instant ; il croise son index avec son pouce et les embrasse… Je le sais, Gil de Mesa, aujourd’hui je le sais, mais ce jour-là, le plus triste, où j’ai douté… Écris-le, pour l’amour de Dieu.

***

Élodie nous propose sa traduction :

C'est la troisième fois que je commence ces écrits, tellement différents de mes Relaciones et de mes Memoriales, tellement loin de mes Lettres. Dans ceux-ci, j'apparaîtrai nu comme ma mère, que je ne connus jamais, lorsqu'elle me mit au monde. J'ai plus de soixante-dix ans : un âge très ingrat pour se mettre nu en public : raison pour laquelle je le fais en privé. Mes doigts ne conduisent plus la plume de manière intelligible. Je dicte ce que je veux dire à mon ami Gil de Mesa, mon pilier, comme quelqu'un l'appelait à Pau : l'effronté du docteur Arbizu, au début de ma seconde vie, ou plutôt de ma mort ; mon paladin, selon les dires : qu'est-ce que je voulais de plus. Bien que, peut-être, ce fût réellement ainsi. Lui, il pourra mieux le dire. Je vois qu'il s'interrompt un instant et sourit.
Quelques jours auparavant, je lui ai dicté mon testament et ma déclaration plus ou moins sincère, de catholique : je crois que j'ai vécu à travers elle : que va-t-on en faire, je ne veux pas que cela complique la vie à mes enfants. Dans cette déclaration,  Gil a imité mon écriture et l'a signée. Je ne l'aurais pas mieux fait moi-même. En réalité, Gil m'a toujours soutenu, ainsi, cela ne m'étonne pas. Les Mesa et moi sommes parents, si ce n'est le fait que je sois toujours parents avec quelqu'un. Il fait partie des Mesa de Bubierca : les meilleurs. Maintenant, il baisse la tête,  gêné. Il aura une quarantaine d'années, il est très brun et bien bâti. Il n'est pas très grand, mais il sait se grandir si nécessaire. Il est excessif en tout ; mais plus qu'en toute autre chose, en la fidélité. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu : vous le déduirez de ce que je dicte. Il est, comme aucun autre, un homme de ressources, extraordinaire et presque miraculeux. Que Dieu, s'il existe, le bénisse. Je ne me suis jamais senti aussi triste de ma vie – et j'ai eu plus d'une occasion – que le jour où je crus que Gil m'avait trahi. C'est parce qu'un espion portugais, ce fils de pute, Tinoco, inventa que Gil, qui en avait marre de la France, voulait faire la paix avec le Roi de Castille et pour cela devait lui rendre le service de me vendre. J'eus envie de me livrer moi-même mais je pensai que si c'était lui qui le faisait, la récompense serait grande et que ce serait ma rétribution pour tant d'abnégation... En ce moment-même, il me regarde avec ses yeux si noirs ; il arrête un moment d'écrire ; il croise son index et son majeur,  puis les embrasse... Je le sais, Gil de Mesa,  je le sais aujourd'hui, mais, le jour le plus triste fut celui où je doutais... Écris-le, pour l'amour du ciel.

***

Elena nous propose sa traduction :

C’est la troisième fois que je commence ces écrits, tellement différents de mes Récits et de mes Mémoires, tellement loin de me Lettres. Dans ceux-ci, j’apparaîtrai nu comme lorsque ma mère, que je n’ai jamais connue, m’a mis au monde. J’ai plus de soixante-dix ans : un âge ingrat pour me mettre à nu en public : voilà pourquoi je le fais en privé. Mes doigts ne guident plus ma plume de manière intelligible. Je dicte à mon ami Gil de Mesa ce que je souhaite exprimer, mon Rhadamanthe, comme l’appelait quelqu’un à Pau : cet éhonté de docteur Arbizu, au commencement de ma deuxième vie, ou plutôt de ma mort ; mon paladin, selon ce qu’on affirmait : que puis-je demander de plus. Bien que ce fut peut-être le cas. Il est mieux placé que moi pour le dire. Je le vois s’interrompre un instant et sourire.
Il y a quelques jours, je lui ai dicté mon testament et ma protestation, plus ou moins sincère, contre le catholicisme : je crois que j’ai dépassé un peux les limites à ce sujet, mais c’est comme ça : je ne veux pas qu’on complique la vie à mes enfants. Dans cette protestation, Gil a imité mon écriture et l’a signée. Je ne l’aurais pas mieux fait. En réalité, Gil m’a toujours tenu par la main. Par conséquent, ça ne m’étonne pas. Les Mesa et moi,  nous sommes parents, si tant est que je sois encore parent de quelqu’un. Lui, il appartient aux Mesa de Bubierca : les meilleurs. Maintenant, il baisse la tête gêné. Il doit avoir environ quarante ans, et il est brun et bien fichu. Pas très grand, mais il sait se faire grand s’il le faut. Il est excessif en tout ; mais plus que tout, en fidélité. Sans lui,  je ne sais pas ce que je serais devenu : on peut le déduire de ce que je lui dicte. Il est, plus qu’aucun autre, un homme de ressources ; extraordinaire et presque miraculeux. Dieu, s’il existe, le bénisse… Jamais,  je ne me suis senti aussi triste – et Dieu sait si j’en ai eu des occasions – que le jour où j’ai cru que Gil me trahissait. Ce fut parce qu’un fils de pute d’espion portugais, Tinoco, avait inventé que Gil,  lassé de la France, voulait faire la paix avec le Roi de Castille,  et il ne la faisait pas sans lui rendre le service de me vendre. J’ai eu envie de me rendre moi-même ; mais j’ai pensé que si c’était lui qui le faisait, la compensation serait plus grande et que ceci serait ma récompense pour autant d’abnégation… Là, maintenant, il me regarde de ses yeux si noirs ; il s’arrête un moment d’écrire ; il croise son index et son pouce et il les baise… Je le sais, Gil de Mesa, je le sais aujourd’hui, mais ce triste jour où je doutais… Écris-ça,  pour l’amour de Dieu.

***

Elise nous propose sa traduction :

C’est la troisième fois que je commence ces écrits, si différents de mes Relations et de mes Mémoriaux, si éloignés de mes Lettres. J’y apparaitrai nu, comme ma mère, que je n’ai d’ailleurs jamais connue, lorsqu’elle me mit au monde. J’ai plus de soixante-dix ans : un âge bien trop ingrat pour que je me déshabille en public : c’est pourquoi je le fais en privé. Mes doigts ne manient plus la plume de manière intelligible. Alors je dicte ce que je veux dire à mon ami Gil de Mesa, mon Rodamonte, comme l’appelait à Pau cet effronté de Docteur Arbizu, au début de ma seconde vie, ou plutôt de ma mort ; mon paladin, d’après ce qu’on disait ; que demanderais-je de plus ! Et peut-être qu’il l’a vraiment été. Il pourra le dire mieux que moi. Je vois qu’il s’interrompt un instant et sourit.
Quelques jours plus tôt, je lui ai dicté mon testament et mon engagement, plus ou moins sincère, au catholicisme : je crois que je m’y suis perdu, mais qu’allons-nous faire ; je ne veux pas qu’on complique la vie de mes enfants. Pour cet engagement, Gil a imité mon écriture et a signé pour moi. En vérité, Gil m’a toujours été d’une grande aide,  donc je ne m’étonne pas. Les Mesa et moi sommes parents, si toutefois suis-je encore parent avec quelqu’un. Lui, il est de la famille des Mesa de Bubierca : les meilleurs entre tous. Et voilà qu’il baisse la tête, gêné. Il doit avoir une quarantaine d’années, il est très brun et bien bâti. Il n’est pas très grand, mais il sait se montrer impressionnant s’il le faut. Il est excessif dans tous les domaines, mais, par-dessus tout,  dans sa fidélité. Sans lui, je ne sais pas ce qu’il me serait arrivé : on le déduira de ce que le je suis en train de lui dicter. Il est, plus que quiconque, un homme plein de ressources, extraordinaire, voire miraculeux. Dieu,  s’il existe, le bénisse… Jamais dans ma vie je ne me suis senti aussi triste — et pourtant, j’en ai eu des occasions — que le jour où j’ai cru que Gil m’avait trahi. C’était parce qu’un espion portugais,  ce fils de pute de Tinoco, avait inventé que Gil,  las de la France, voulait faire la paix avec le Roi de Castille, et il accepterait que s’il lui rendait le service de me livrer à lui. L’envie m’avait pris de me rendre tout seul, mais j’avais alors pensé que s’il me livrait lui, la récompense allait être importante,  et ce serait le prix de tant d’abnégation… En ce moment-même, il me regarde avec ses grands yeux tellement noirs, il arrête d’écrire un instant, croise l’index et le pouce et les embrasse… Je le sais, Gil de Mesa, je le sais bien aujourd’hui, mais le jour le plus triste a été celui où je doutais… Ecris-le, nom de Dieu !

Aucun commentaire: