mardi 29 avril 2014

Exercice d'écriture 22 – par Marie

Complices

Lorsque la boulangère vous tend le croissant que vous venez d’acheter en vous souhaitant une bonne journée, un sourire radieux sur les lèvres, croyez-vous qu’elle le pense vraiment ? Je veux dire, pensez-vous qu’elle vous souhaite vraiment, du fond du cœur, que votre journée soit bonne, autrement dit, que vous ne passiez que de bons moments ? Quand je vois la journée que j’ai passé après être allée la voir, je me dis que non, la boulangère doit être une hypocrite… sinon comment expliquer ça ? Pour commencer, la feuille sur laquelle j’avais tous mes rendez-vous pour des visites d’appartements (la quintessence d’heures acharnées de recherches et de coup de fil dans tous les sens) s’envole très haut pour retomber où ? Sur les rails du train ! « La guigne », l’adolescent qui m’observait du coin de l’œil avait dû se dire que je venais tout droit de traverser les couloirs du temps avec un tel juron et que je devais être complètement folle de me jeter sur les rails du train juste pour récupérer une simple feuille de papier, salissant ainsi au passage mes nouvelles chaussures en toile blanche. Oui, mais sur cette feuille se trouvaient toutes les adresses, les horaires et les contacts dont j’avais besoin pour mener à bien cette journée. Quand on déménage, notre vie dépend du moindre rendez-vous que l’on peut avoir pour pouvoir visiter l’appartement de nos rêves… ou pas… Cage d’escalier toute délabrée, odeur de moisi et lino tout craquelé, cet endroit n’était pas très glamour. Enfin, qu’à cela ne tienne, il arrive que les parties communes soient en mauvais état, mais que les appartements soient très agréables… ou pas… Des murs dont on ne sait plus si la peinture est jaune ou juste d’un blanc sali par le temps et la crasse des anciens locataires, des fils non isolés qui sortent des murs comme pour venir vous dire bonjour, mais dont vous ne comprenez pas la réelle fonction, des éviers cassés au milieu de cuisines à aménager entièrement, des salles de bains dans lesquelles on n’avait pas la place de se retourner ! Mes visites d’appartements se succédaient et se ressemblaient. Il était temps de se poser un peu pour se détendre et se rassasier. Le premier moment de la journée qui serait agréable, même si je déteste manger seule. Selon moi, il n’y a rien de plus pathétique que de s’asseoir à une table et de manger seule dans un lieu public, c’est à se pendre franchement, mais bon, il y a des jours où certains désagréments habituels sont amoindris par des circonstances plus désagréables encore. Bref, je m’assois donc dans une petite brasserie du centre et commande un croque-monsieur salade. En attendant, j’appelle une amie dont je n’ai pas eu de nouvelles depuis longtemps, mais les nouvelles qu’elle me donne de sa vie sont juste déprimantes : elle s’est remise en couple avec le mec qui l’a trompée deux mois auparavant et c’est de nouveau le grand-amour… juste pathétique ! Parfois je me demande pourquoi on est encore amie, le passé ? Les souvenirs ? Seul un petit blondinet qui s’exerce à tirer des boules de billard en manquant d’arracher le tapis à chaque essai me redonne le sourire. La serveuse, aimable comme une porte de prison, m’apporte mon verre de Bordeaux et mon croque-monsieur sans même me souhaiter bon appétit. Vous me direz, peu importe qu’elle ne l’ait pas fait, ce croque-monsieur était bon, contrairement à la bonne journée pleine d’entrain que m’avait souhaitée la boulangère… Bref, je n’avais pas le temps de m’éterniser non plus, un autre rendez-vous m’attendait et je venais de me rendre compte que je m’étais trompée d’adresse. « Quand on n’a pas de tête », vous connaissez la suite du dicton… Et sous la pluie sans parapluie, c’est plus marrant ! J’arrive donc trempée et en retard à mon premier rendez-vous de l’après-midi, serre d’une main pressée et mouillée celle que me tend l’agent immobilier qui a l’air tellement contrits que je me dis que toute sa famille a dû mourir la veille, mais qu’il a tenu à venir travailler quand même pour penser à autre chose. Il me laisse visiter sans faire de commentaires et en répondant du bout des lèvres aux questions que je lui pose, cet appartement était un peu mieux que les autres, mais enfin s’il fallait avoir à faire à ce genre d’agent immobilier pour le moindre problème, non, merci ! Quand à 19h30 je sors de ma septième et dernière visite de la journée, je suis exténuée… pour rien ! L’appartement de mes rêves ne devait certainement pas se trouver dans cette ville ou alors à un budget complètement inaccessible pour moi ! Avant de reprendre mon train, j’avais besoin d’un café ! Aucun goût, juste celui de l’amertume… Super ! Il ne restait plus qu’à rentrer. Enfin, si la SNCF le voulait bien « tin, tin, tin, lin : le train numéro 8666 est annulé suite à un problème technique, nous prions notre aimable clientèle de bien vouloir nous en excuser ». Plus qu’à attendre une heure dans une gare sans téléphone -plus de batterie, sans bouquin- oublié sur la table du salon en partant et sans amis dans cette nouvelle ville ! Super ! « Tin, tin, tin, lin : Pauline en ras-le-bol de cette journée de bip et de cette vie de bip qu’elle mène en ce moment ». Tout le monde s’en fiche, cette annonce ne touche personne. Quand je pousse la porte de mon appartement, il est 22h30, une odeur inhabituelle règne dans l’appartement, en allant dans mon arrière-cuisine, je découvre mon chat, inerte dans sa litière. Il a dû s’empoisonner avec quelque chose. Aujourd’hui c’est clair pour moi : la boulangère et le diable sont complices, elle n’ira pas brûler en enfer tant qu’elle souhaitera une bonne journée à tous ses clients !
M’en fiche ! Chez Picard, il y a des viennoiseries surgelées, je suis sûre qu’elles sont délicieuses.

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